Immersion au coeur des Westfjords d’Islande à la rencontre du renard polaire

Renard polaire islandais dans les Westfjords

Ce mois de mars, j’ai posé mes bagages dans les Westfjords d’Islande. Mon objectif était d’aller à la rencontre du renard polaire en hiver.
Les Westfjords est une région isolée, loin des masses touristiques, et pas des plus accessibles en hiver. C’est dans le village de Súðavík que mes amis Rodolphe et Stéphanie m’ont accueilli.

Observer le renard polaire dans son milieu naturel, en hiver, voilà une mission des plus excitantes. Il y a bien entendu la réserve naturelle de Hornstrandir, mais les renards sont complètement habitués à l’humain. Les comportements sont donc parfois biaisés.

Mes amis m’ont indiqué une zone complètement sauvage, une péninsule accessible à pied, où ils ont pu observer des renardeaux l’été dernier. Un coin de paradis pour naturalistes. Ça sera donc là que je planterai ma tente pour quelques séjours en autonomie.

Après une première journée de repérages avec Rodolphe, je me mets dans le bain et me rends compte que les renards sont nombreux, les empreintes ne laissent aucun doute ! La neige raconte des histoires que j’aime lire.
Le temps de préparer une première autonomie et le séjour sur la péninsule commence.

Le silence de la nature

Lorsqu’on arrive dans les Westfjords, le silence règne. Comme dans toutes les régions nordiques, les animaux sont discrets. Seule l’approche du printemps réveille les oiseaux. Cette période coïncide avec la saison des amours du renard polaire, qui se fait entendre à son tour.

Mon domicile temporaire est constitué d’une tente, protégée par la ruine d’une ancienne maison en pierres. Une ruine qui rappelle qu’autrefois l’humain y a vécu. Cette ruine repérée durant la première journée me permet de dormir serein, et de profiter de quelques instants de repos à l’abri du redoutable vent islandais

Vivre quelques jours en ces lieux est à la fois une immense inspiration et un défi physique. Les positions statiques (pour l’observation) deviennent vite très éprouvantes. Le vent fige tout sur son passage. La nuit, les températures les plus basses transforment l’humidité de l’intérieur de la tente en cristaux de glace. Il est alors proscrit de toucher la paroi de la tente, sous peine d’une pluie de glace. Mais malgré la douleur, malgré la fatigue, vivre dans une nature sauvage est vital pour moi.

Vivre avec les animaux, de façon permanente est le meilleur moyen de les comprendre, de ressentir leurs vies, d’apprendre à les connaître. Je n’envisage pas la photographie animalière autrement. Avant de réaliser des images, je dois découvrir l’histoire que je vais raconter.

Très vite, le temps s’arrête ! Dans ces situations, il se passe toujours quelque chose! Il suffit de savoir regarder. Les belles lumières, la parade des nuages et des montagnes, les animaux en groupe ou en solitaires … La nature est toujours en mouvement, on ne s’y ennuie jamais!

On me demande parfois si je suis déçu d’un séjour, d’une virée ou d’une journée en nature. Il est tout simplement impossible d’être déçu. Je suis photographe, mais la photo est la dernière étape. Avant, il y a l’immersion, l’observation, la poésie, le silence, la réflexion … alors, on ne peut pas être déçu par la nature lorsqu’elle est intacte!

Les résidents permanents

L’hiver, la liste des animaux qui quittent l’Islande est longue. Et les Westfjords, sont encore plus concernés par ces migrations, étant donnée l’exposition de la région. Mais outre le renard polaire, certaines espèces sont ici chez elles. Et la présence de certains animaux m’a étonné, comme ce hibou des marais qui a décidé de faire de cette péninsule son territoire permanent. Pourtant, le hibou des marais est indiqué non-présent dans les Westfjords.

Une silhouette silencieuse et fantomatique est venue se poser à 2m de la tente avant de se rendre compte d’une présence et de faire demi-tour. Ce fut la première rencontre.

La seconde a eu lieu quelques jours plus tard. En rentrant d’un lieu d’affût un soir, une forme attire mon regard sur un rocher au loin. Il est d’ailleurs incroyable de voir à quel point le cerveau enregistre l’environnement, très rapidement, et nous alerte au moindre changement. En m’approchant avec précautions, je me rends compte que c’est lui, le hibou, perché sur son rocher, dos à la mer.

Le hibou des marais, hibou des fjords
Le hibou des marais, hibou des fjords

D’autres espèces doivent leur présence ici à l’humain, comme ce vison d’Amérique parfaitement adapté à l’environnement rocheux de la péninsule. Autrefois, il a été importé pour sa fourrure.
Des individus échappés ou volontairement relâchés ont alors peuplé l’Islande. Ils sont aujourd’hui présents sur toute l’île.

Je n’ai pu observer qu’un individu, mais les empreintes ne laissent aucun doute, la densité de visons d’Amérique est très élevée dans ce secteur.

Vison d'Amérique dans les Westfjords
Vison d'Amérique dans les Westfjords

Les bécasseaux violets sont des plus agréables à observer. Ils forment de petits groupes qui dessinent sur les rochers des boules de plumes au ventre gris clair. A marée basse, Ils viennent fouiller sous les algues à la recherche de petits crustacés et mollusques. Il est alors très facile de les approcher et les observer / photographier, leur distance de sécurité étant de moins de 2m.

Dans la lumière Islandaise, j’ai passé des heures en leur compagnie.

L’animal emblématique des Westfjords, avec le renard polaire, est le lagopède alpin. Rare en France, il est ici assez facile à trouver. Il arrive même que ce soit lui qui vous trouve. Les mâles en période des amours sont assez bruyants.

La vie de cette perdrix des neiges est étroitement liée à la météo. Son plumage d’hiver la rend parfaitement invisible des prédateurs. Mais quelques degrés de trop et la neige fond, la rendant au contraire criarde dans les paysages de la toundra. Elle est alors une proie facile pour les renards.

Lagopède alpin
Lagopède alpin

Les grands cormorans sont nombreux en hiver. Ils disposent de toute la place laissée par les autres oiseaux marins partis vers le sud. Ils occupent alors les rochers, en groupe ou en solitaires, pour se sécher les plumes avant de reprendre leur envol.

J’ai particulièrement apprécié photographier leur silhouette aux dernières lueurs.

Enfin, j’ai pris énormément de plaisir à observer les grands corbeaux. Rares en France, ils sont communs ici. Deux couples nichaient dans les falaises non loin de ma zone. J’ai eu droit à toutes sortes de vocalisations à l’approche des falaises. J’ai pu profiter de cette espèce que je n’observe qu’en Islande.

Avec les grands corbeaux, les renards polaires ne sont jamais sereins sur les crêtes, ils se font immédiatement harceler! Même lorsque les corbeaux sont absents, ils accélèrent le pas, question d’habitude.

Ce ne sont pas des résidents permanents, mais les huîtrier-pies sont arrivés peu après moi, et en nombre! Habituellement moins craintifs, en ce début de saison je n’ai pas pu les approcher. Je me suis contenté de photographier leurs vols synchronisés (et très bruyants).

Huîtriers pie
Huîtriers pie

Le renard polaire

C’est pour eux que j’ai atterri dans les Westfjords. Après un séjour l’été dernier et des moments privilégiés passés à observer des familles de renards polaires, je suis revenu découvrir leur vie en hiver. Ma mission était de comprendre leur comportement, découvrir leurs mœurs et observer les mouvements et évolutions des territoires en période des amours. Des sujets qui me passionnent particulièrement pour cet animal, champion de la colonisation et de la survie.

Après un tour des lieux, et des sessions de prospection, je me rends vite compte que la densité de renards est très élevée. Les territoires d’été ne sont pas respectés en hiver. Il y a une tolérance et ils sont nombreux à se partager de petits périmètres. J’y découvre des terriers, sûrement temporaires, car ils se résument en un unique trou (les terriers d’été disposent de plusieurs entrées/sorties). Ces terriers sont creusés le plus proche possible des plages, comme
pour limiter l’effort au moment de devoir trouver de la nourriture.

Les premières observations ne se font pas attendre. Dès le premier jour, je découvre trois renards. Les identifications commencent également. J’aime mémoriser les caractéristiques physiques et comportementales des renards, ça me permet par la suite de mieux comprendre les mouvements et la vie de ces animaux.

Les renards polaires que j’observe vivent sur la côte. Précision importante car d’autres vivent à l’intérieur des terres. Les régimes alimentaires de ces deux catégories sont totalement différents.
Les renards des côtes Islandaises se nourrissent essentiellement de ce que la mer rejette, autrement dit d’animaux marins morts. Mais également d’animaux marins vivants, d’oiseaux, de rongeurs et de fruits de la toundra. Ces renards sont donc complètement dépendants du rythme des marées. Ils chassent à marée basse et se reposent / s’adonnent à leurs autres activités (inspection du territoire, recherche de partenaire …) à marée haute. Ils sont actifs de jour comme de nuit (je n’ai pas beaucoup dormi …).
Dans cette péninsule, la période de repos se situe en matinée. Ailleurs, c’est l’inverse. Comme pour le renard roux en France, dès que l’humain est présent, les animaux s’adaptent en devenant crépusculaires.

Le renard polaire islandais possède plusieurs particularités et adaptations, la plus importante est celle qui concerne la couleur. Il existe deux couleurs de fourrure : le couleur blanche (white morph) qui devient brune sur le dos en été, et la couleur brune (blue morph), qui est marron foncé / gris foncé, et s’éclaircit en été sous l’effet du soleil.
Partout en arctique, les renards polaires sont à 99% blancs. Le renard brun y est rare. Mais l’absence de prédateur en Islande (excepté l’humain), a favorisé la couleur brune.

L’éternel nuisible

Le genre Vulpes regroupe des espèces qui, partout, sont considérées à tort comme des nuisibles. Pourquoi je m’y intéresse ? D’abord parce qu’une espèce endémique ne peut pas être nuisible. C’est un non-sens ! Le renard fait partie de ces espèces vitales à leur écosystème.
Ensuite pour ses facultés d’adaptation. Le renard a su coloniser les déserts froids et les déserts chauds. C’est un formidable sujet d’étude pour qui s’intéresse à l’évolution des espèces.

Comme son cousin le renard roux en France, le renard polaire est chassé en Islande. La raison est la même : réguler les populations pour protéger les animaux d’élevage. Malheureusement, ces croyances sont souvent infondées. L’une d’elles, et sûrement la plus importante, consiste à croire qu’ils s’attaquent aux agneaux (en leur sautant à la gorge !). Or, les attaques sont rares, et dans tous les cas, les renards polaires mordent les agneaux sans pouvoir les tuer. Le principal risque est donc celui de l’infection.

Inutile d’expliquer que la nature n’a pas besoin d’être « régulée ». Elle le fait toute seule à travers des mécanismes aussi nombreux que complexes. Elle le faisait avant nous, et continuera à le faire sans nous.

Depuis un an, je consacre beaucoup de temps à l’observation et à la photographie de ces espèces. Un immense privilège que j’espère leur rendre. Un projet d’envergure que je vous présenterai dans un an. En attendant, je partagerai avec vous ces petites aventures sur ce blog.

Si vous souhaitez échanger sur le sujet, les commentaires vous tendent les bras 🙂

Si vous souhaitez visiter les Westfjords d’Islande et que vous ne savez pas par où commencer, alors Sudavik Guesthouse vous tend les bras (www.sudavik.fr). Vous y serez accueilli avec la bienveillance et la connaissance de la région nécessaires à un bon séjour.

2 Comments

  • Mahdi

    C’est excellent Samy, bravo pour ce travail !
    Comme tu dis on ne peut pas être déçu par la nature lorsqu’elle est intacte, moi j’ai envie de dire qu’on ne peut pas être déçu par des photos quand c’est les tiennes !

    Bonne continuation Samy et hâte de te lire encore !

    11 avril 2018 at 19 h 18 min
  • Joublot Ferré Laurent

    Salut Samy,
    Je me souviens de notre rencontre dans les Westfjords. Je m’étais embarqué avec
    Thomas dans un périple de 5 jours dans ces territoires et lors d’une marche vers la partie la plus au Nord, nous avons aperçu une tente dans la neige. Cela faisait quelques temps que tu attendais le beau temps et nous sommes arrivés avec lui. Instant magique de cette rencontre.
    Nous nous sommes vus plusieurs fois et j’ai en mémoire, lorsque nous avons quitté ce lieu en bateau, ta silhouette qui très longtemps nous faisait signe d’au revoir de la main.
    A te voir très vite à Cressia.
    J’adore ton travail et j’attends avec impatience l’exposition sur les renards, les trois….
    A te voir.
    Bisous

    29 septembre 2019 at 14 h 14 min